Appréciation de la viabilité myocardique par IRM

Concept de viabilité myocardique

La question de la viabilité myocardique se pose en cas d’akinésie de contraction segmentaire en rapport avec une sténose ou une occlusion coronaire, lorsqu’il s’agit de déterminer si une revascularisation coronaire pourrait permettre ou non de restaurer la fonction contractile.

Cette question peut se poser dans le cadre de la sidération myocardique, phénomène transitoire, spontanément réversible après occlusion coronaire plus ou moins brève (Braunwald et Kloner 1982 [1]) ou dans le cadre du myocarde hibernant décrit par Rahimtoola en 1989 [2].

Dans ce contexte, les critères reconnus de viabilité – définie par l’amélioration de la contraction segmentaire après angioplastie ou pontage – sont de trois types ([3]):
1) persistance d’un métabolisme tissulaire alors que la fonction contractile et la perfusion sont diminuées (métabolisme du FDG préservé en PET, fixation tardive de Thallium en SPECT),
2) amélioration de la contraction segmentaire objectivable sous petites doses de Dobutamine en échographie (ou en IRM – cf Baer 1998 [4], Aayad 1998 avec tagging [5]). Pour Barmeyer 2008 [6] ayant étudié 50 patients post-IDM, un épaississement systolique de plus de 2mm sous dobutamine (10 gamma/kg/mn) est le meilleur indice de récupérabilité fonctionnelle à 6 mois.
3) absence d’hypersignal tardif post-gadolinium de la zone akinétique (white is dead).

En outre, l’indicateur le plus simple de non viabilité est l’amincissement pariétal à moins de 6 mm [7].

Hypersignal tardif post-gadolinium = tissu myocardique mort, irrécupérable

Le mécanisme qui rend compte de l’hypersignal tardif post-gadolinium correspond à un acroissement de l’espace extracellulaire où se distribuent les chélates de gadolinium (myomalacie à la phase aigue, fibrose à la phase tardive de l’infarctus). De surcroit, la raréfaction des capillaires entraine une réductiion du wash-out qui explique la persistance d’un contraste tissulaire plus de 10 mn apres injection par rapport au tissu sain adjacent

En pratique, l’étude de l’hypersignal tardif post-gadolinium apparait comme une technique très pratique et aisée à réaliser. Ses fondements ont été apportés par de multiples travaux réalisés par Kim 2000 [8], Choi 2001 [9], Selvayanagam 2004 [10]… En cas de dysfonction segmentaire post-infarctus, la probabilité d’amélioration contractile post-revascularisation décroit à mesure que l’extension de l’hypersignal post-gadolinium devient transmurale comme le montre le graphique ci-dessous. L’analyse de l’étendue transmurale de l’hypersignal est également prédictive de la récupération spontanée dans le myocarde sidéré (Beek 2003 [11]).

Image:Choi_diagramme.jpg

La limite de cette approche concerne la situation -fréquente – où l’hypersignal intéresse approximativement la moitié de l’épaisseur du myocarde, auquel cas les chances de viabilité sont intermédiaires (50%). Dans ces situations délicates, il a été suggéré de recourir à l’étude de la contraction sous Dobutamine pour départager les situations qui méritent une revascularisation des autres cas où une revascularisation est inutile.

Signification du rehaussement tardif dans l’IDM

Correspondances histopathologiques de l’hypersignal tardif

Hypersignal tardif = territoire nécrosé et couronne viable périphérique :

Pour l’équipe de Baltimore, l’hypersignal tardif traduit une rétention de Gd (wash-out ralenti de 3 à 20 fois par rapport au myocarde sain) dans la zone infarcie où les membranes des myocytes et des sarcomères sont détruites ce qui entraîne une infiltration oedémateuse et un volume interstitiel de distribution accru. Les chélates de gadolinium restent ainsi accumulés dans ces territoires où leur concentration devient supérieure à celle observée dans le tissu sain, 5 à 15 mn après injection (hypersignal tardif). La planimétrie de cet hypersignal (qui s’atténue fortement 8 semaines après l’infarctus) est plus étendue que celle de l’hyposignal précoce (cf : figure 7) et est bien corrélée à celle de la zone ne fixant pas le tétrazolium (territoire nécrosé non récupérable pour l’essentiel) et à l’extension de la cicatrice fibreuse mesurée 2 mois. Pour d’autres équipes, au contraire, l’hypersignal tardif comporte une importante part de tissu récupérable et seul l’hyposignal précoce serait spécifique de la nécrose myocardique. En fait, il semble probable que l’hypersignal tardif surestime (de 10 à 20%) la taille de l’infarctus.

La durée de l’occlusion coronaire conditionne l’étendue de hypersignal tardif

L’extension transmurale de l’infarctus objectivée par l’étendue de l’hypersignal tardif post-gadolinium (ainsi que l’importance du no-reflow également), est corrélée à la durée de l’occlusion coronaire comme a pu le montré Tarantini 2005 [1] Dans cette étude (64 infarctus aigus antérieurs recanalisés par PCI), la lésion dépasse 75% de l’épaisseur sous endocardique du myocarde lorsque l’occlusion est supérieure à 180 mn environ. Ces observations constituent un plaidoyer important en faveur d’une recanalisation la plus précoce possible dans l’infarctus aigu avec sus décalage du segment ST.

L’étendue de l’hypersignal tardif signe le pronostic de l’infarctus

Tarantini a montré que le degré d’extension transmurale de l’hypersignal tardif (IRM réalisée à J6±2 chez 76 patients avec infarctus aigus traité par PCI) est un déterminant majeur (ainsi que l’élévation enzymatique) du remodelage VG à 6 mois, c’est à dire de l’augmentation du volume VG et de la diminution de la FEVG (Tarantini 2006 [2]).

Pourquoi recourir à l’IRM ?

Limites de l’appréciation échocardiographique

L’échocardiographie constitue naturellement la méthode prioritaire d’étude le la fonction VG. Sa mise en oeuvre est aisée, sans aucune contre-indication ni inconvénient, son cout est modique et la réponse apportée conduit de manière immédiate au choix de mesures thérapeutiques éclairées.

Ses limites sont de deux ordres, pour l’étude du VG et plus encore pour le ventricule droit  :

1) Champ d’exploration parfois restreint, surtout lorsque les fenêtres d’échogénicité sont mauvaises comme chez le sujet obèse ou broncho-emphysémateux. Il peut alors être difficile d’évaluer, par exemple, la contraction de la paroi latérale ou de la région apicale.

2) Capacités de quantification limitées, surtout lorsque le VG est déformé par des séquelles d’infarctus. En effet, en échocardiographie 2D, l’estimation des volumes du VG repose sur une modélisation, soit avec la méthode surface-longueur qui assimile le VG à un ellipsoïde de révolution ou par la méthode de Simpson qui considère le VG comme une pile de disques dont les diamètres correspondent au petit axe depuis la base jusqu’à la pointe. Au mieux, peut on prendre en compte des disques en ellipses dont les grand et petit axe sont determinés à partir d’incidences perpendiculaires ‘2 cavités’ et ‘4 cavités’. L’échocardiographie 3D permet de s’affranchir de ces modélisations mais n’est pas d’utilisation courante dans tous les centres.

Les imprécisions ainsi générées conduisent à une variabilité dans les résultats dont nous reparlerons plus loin.

Appréciation qualitative en IRM

L’IRM permet de résoudre ces deux problèmes, 1) en garantissant une analyse précise des contours ventriculaires à tous les niveaux de coupe (pas de limitation du champ de vue) et 2) en éliminant la nécessité de recourir à un modèle géometrique puisque l’ensemble des données 3D peut être acquis de manière exhaustive.

Notons cependant qu’une mauvaise qualité d’examen (extrasystolie abondante, patient ne pouvant pas bien tenir l’apnée) peut dégrader cet avantage. En outre, la volumétrie 3D demande une technique d’acquisition et de post-traitement plus fastidieuse que le recours à un modèle surface-longueur, de sorte qu’en pratique courante la qualité des résultats dépendra toujours des efforts et du temps consentis par l’opérateur IRM…

Avant de détailler les méthodes de quantification, notons que la bonnes qualité des ciné obtenus dans les 3 plans (vertical grand axe, 4 cavités et petit axe), autorise déja une analyse visuelle subjective de la contraction globale et segmentaire

La description des anomalies doit se faire de manière systématisée :

– par territoires : antérieur, septal, inférieur, latéral, apical.

– en zones : basale, médiane, distale.

– avec des qualifitatifs : hyper, normo, hypo, a ou dyskinétique.

Par exemple, sur l’exemple ci-contre, l’analyse visuelle objective unehypokinésie septale basale et médiane.
Cette appréciation reste toutefois subjective et se limite à des adjectifs qualificatifs sur le compte rendu d’examen.

Appréciation semi-quantitative avec la classification en 17 segments

En proposant une nomenclature standardisée, la classification en 17 segments de l’ASE permet à chaque centre d’exprimer des résultats intelligibles sans ambiguité pour l’ensemble des centres qui réalisent ces examens.

   
Classification en 17 segment selon l’ASE. Le VG est représenté ici comme une carte polaire (ou bull’s eye), habituellement utilisée en médecine nucléaire. Calcul d’un score semi-quantitatif sur la grille des 17 segments. En attribuant un score qualitatif à chaque segment, on peut calculer un indice global de dysfonction segmentaire (une fiche de compte rendu de ce type est disponible en cliquant ici [1])

En pratique, la plupart des centres se contentent d’indiquer une appréciation simplement qualitative de la contraction segmentaire dans le compte rendu d’examen. Des outils de quantification sont toutefois disponibles chez tous les constructeurs, dont les principes sont explicités dans une autre section ci-dessous.

Méthodologie de visualisation de l’infarctus

L’imagerie T2 montre les lésions de myomalacie de l’infarctus recent

L’imagerie en écho de spin pondérée T2 laisse apparaître les tissus oedématiés en hypersignal T2 relatif.

Ceci peut être mis a profit dans les myocardites et dans l’infarctus myocardique, en permettant la distinction entre lésion récente avec hypersignal T2 versus cicatrices fibreuses anciennes sans hypersignal T2.

L’imagerie en écho de spin pondéré T2 est malheureusement souvent de médiocre qualité en raison du rapport signal/bruit assez faible qui résulte de temps d’écho longs (100 ms). Outre les artefacts de phases accentués par ces TE longs, les structures graisseuses notamment, qui apparaissent en hypersignal sur les séquences pondérées T1 et pondérées T2, ‘écrasent’ les contrastes tissulaires myocardiques et rendent malcommode la lecture des images pondérées T2.

L’imagerie STIR permet de s’affranchir très efficacement du signal graisseux, avec une qualité variable mais au prix d’un seul niveau de coupe par apnée. Il est donc nécessaire de multiplier les apnées pour couvrir le volume VG, car on ne sait pas toujours à l’avance où se trouve la lésion à étudier (surtout en cas de myocardite). C’est pourquoi l’imagerie STIR-T2 (qui ne peut pas être utilisée de manière pertinente après injection de gadolinium) n’est pas toujours utilisée lors d’un examen de routine. Lorsqu’elles sont disponibles, les séquences ‘single-shot’ de type Haste-STIR-T2 permettent d’obtenir plusieurs niveaux de coupe par apnée mais au prix d’une résolution spatiale médiocre.

En principe, en imagerie STIR-T2, le signal myocardique normal doit être relativement homogène, comme dans l’exemple ci-contre.Étant donné le rapport signal/bruit assez faible avec cette séquence, il importe de veiller à ce qu’un aspect en hypersignal T2 localisé en antéro-apical (à proximité de l’antenne sternale) ne corresponde pas à un effet parasite de proximité d’antenne…

Exemple typique d’hypersignal T2 au sein d’un territoire d’infarctus antéro-septo-apical récent (myomalacie) :

Bilan d’un infarctus antéro-septo-apical récent chez un patient de 57 ans ayant présenté un choc cardiogénique. VG dilaté à 63 mm en diastole, volume diastolique 213 ml. Dyskinésie intéressant les portions distales de la paroi antérieure, du septum et l’apex. FEVG calculée à 27 %. Important hypersignal intéressant l’apex et la paroi antérieure distale en séquence STIR-T2, en faveur de la persistance d’un œdème tissulaire à ce niveau. Les séquences pondérées T1 post-Gadolinium montrent une très large plage d’hypersignal transmural antéro-septo-apicale, correspondant bien aux zones dyskinétiques ou akinétiques en ciné (avec quelques zones mouchetées d’hyposignal du septum médian, à interpréter comme du no-reflow persistant tardif). Pas de viabilité résiduelle.

Utilité de l’’imagerie T2 en cas d’insuffisance rénale

Lorsqu’il existe une insuffisance rénale contre-indiquant une injection de chélate de gadolinium, l’imagerie STIR-T2 constitue une intéressante alternative à l’imagerie de rehaussement tardif. L’œdème de la myomalacie apparait alors sous forme d’un hypersignal. Cet aspect est toutefois transitoire et s’estompe dans les 3-4 semaines qui suivent l’infarctus.

Exemple d’imagerie STIR-T2 (au milieu) chez une patiente de 38 ans avec clearance de la créatinine à 23 ml/mn. L’imagerie ciné montre nettement l’amincissement de la paroi inférieure distale qui est akinétique. VG diastolique 92 ml/m2, FEVG 42%. L’imagerie STIR-T2 montre un large hypersignal dans cette zone akinétique ce qui est en faveur d’un territoire de myomalacie. Cet examen était réalisé en raison de signes d’insuffisance cardiaque survenus dans les suites d’une thrombose veineuse profonde d’un membre supérieur (contexte de tabac + pilule). L’échographie montrait une hypokinésie VG mais sans révéler l’akinésie inférieure distale. L’histoire clinique doit faire suspecter une possible embolie paradoxale à travers un FOP dans le cadre de la thrombo-phlébite.
Taille relative de l’hypersignal T2 et de la zone d’hypersignal post-gadolinium…

Dans l’infarctus ancien, des bandes de métaplasie lipomateuse ont été décrites au sein des cicatrices fibreuses [1]. Elles apparaissent en hypersignal sur les séquences ciné et en écho de spin pondéré T1 ; elles ont démontrables grâce aux séquences de saturation des graisses. Ces formations peuvent conduire à sous estimer l’étendue de la zone fibreuse cicatricielle.

Fibrose endomyocardique

La fibrose endomyocardique hyperéosiniphilique (ou endocardite de Loeffler) est une affection rare, de diagnostic difficile. La séméiologie IRM, bien décrite par Syed 2008 [1], est cependant relativement évocatrice grâce à l’aspect typique en 3 couches illustré ci-dessous : 1) myocarde sain à l’extérieur, 2) couche de fibrose endocardique intermédiaire et de manière plus ou moins nette 3) structures thrombotiques internes dans la cavité ventriculaire gauche.

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Cardiomyopathies

L’ancienne classification WHO de 1995 [1] a été remaniée par l’AHA en 2006 [2]. Nous suivrons son plan, en montrant l’intérêt de l’IRM; sachant que l’échocardiographie reste l’examen de base de première intention dans ce domaine.
Les cardiomyopathies sont définies comme un groupe de maladies hétérogènes associées à des désordres mécanique et/ou électriques pouvant s’acccompagner d’hypertrophie pariétale ou de dilatation cavitaire et dues à de multiples causes, fréquemment de nature génétique. Elles peuvent être confinées au coeur ou faire partie d’atteintes systémiques plus générales et peuvent entrainer défaillance cardiaque ou mort subite.


Deux groupes principaux de cardiomyopathies

CARDIOMYOPATHIES PRIMITIVES
Intéressant isolément ou de manière prédominante le coeur
GENETIQUES
– Cardiomyopathies hypertrophiques (vs HVG du sportif)
– Non compaction du ventricule gauche
– Dysplasie arythmogène du VD
– Maladies du tissu de conduction et des canaux ioniques
FORMES MIXTES (génétiques et acquises)
– Cardiomyopathies dilatées
– Cardiomyopathies restrictives primitives (sans HVG)
FORMES ACQUISES
– Stress (Tako-Tsubo)
– Myocardites
– Autres

CARDIOMYOPATHIES SECONDAIRES
où l’atteinte cardiaque n’est qu’une expression de lésions systémiques multi-organes, d’étiologies multiples :
– infiltratives (Amylose, Hurler…)
– de surcharge (hémochromatose, Fabry, Pompe…)
– endomyocardiques (hyperéosinophliques, Loeffler…)
– des granulomatoses (sarcoidose, Wegener, Churg et Strauss…)
– autoimmunes (collagénoses, Lupus, sclérodermie…)
– toxiques (chimiothérapie…)
– Endocrine, Neuro-musculaires, carentielles..